Académie Lorraine des Sciences
à Metz le 17 Novembre 2005
Exposé de Jean-Claude Perrin :
50 ans ont passé
Je me nomme Jean-Claude Perrin, né le 31 mars 1946 à Neuves-Maisons, j'habite à Chaligny, au 902 rue Edmond Pintier.
Mon papa était ajusteur à l'usine de Neuves-Maisons, ma maman faisait de la confection à la maison.
Carrière professionnelle
Après avoir obtenu à 14 ans mon certificat d'études, j'ai commencé un apprentissage de coiffeur pour dames à Nancy. Puis appelé sous les drapeaux pendant 16 mois. En rentrant du service militaire, je me rends compte de mes lacunes dans mon métier, je suivrai donc à l'académie de coiffure de Lausanne les cours qui me permettront de parfaire mes connaissances. Ouvrier coiffeur durant quelques années et fort de la théorie et de la pratique, j'ai obtenu avec succès mon brevet professionnel en 1970.
En 1971, j'ai créé ma propre entreprise en ouvrant un salon de coiffure à Chaligny, que j'ai du fermer trois années plus tard pour raisons personnelles. Je me fais embaucher à l'usine de Neuves-Maisons en qualité de machiniste au train continu à fil. En 1987, la conjoncture économique a provoqué mon retour dans mon ancien métier d'artisan coiffeur jusqu'en juillet 2005 date à laquelle j'ai bénéficié des conditions de ma mise en retraite.
Mes passions.
1°) Mon amour pour l'histoire
Dès mon plus jeune âge, j'ai pris goût à la lecture par l'exemple de mes parents (très cultivés), qui passaient leurs soirées à lire des ouvrages qu'ils empruntaient à la bibliothèque des usines de Neuves-Maisons. Ils lisaient deux livres par semaine. Les belles illustrations qu'on y trouvait me fascinaient. Papa et maman ne se rebutaient à aucune de mes questions. Un soir de noël pour mes 6 ans, ne sachant à peine lire, ils m'ont offert le magnifique ouvrage d'Octave Aubry " Napoléon ". Je me souviens être assis sur les genoux de mon oncle, près du sapin ; celui-ci me tournait les pages en m'expliquant les belles reproductions de tableaux. Il y avait entre autres les superbes uniformes des soldats de Napoléon que je ne cessais de contempler. Ils ont c'est sûr provoqué ma passion pour cette époque. Pendant ma scolarité, l'histoire de France a été avec le dessin ma matière préférée. A tel point qu'il était difficile à mes instituteurs de m'intéresser à autre chose.
L'apprentissage de la coiffure n'était pas pour moi d'un grand intérêt. Le choix avait été celui de mes parents, ma scolarité n'avait pas été excellente, mes goûts pour le dessin ne les avaient pas enthousiasmés, mon beau-frère était coiffeur hommes, je serais coiffeur pour dames.
Les dimanches, je les passais à faire du sport. J'aimais le cyclisme, je faisais partie de l'AS PTT Nancy. Les résultats par manque de temps pour m'entraîner étaient médiocres. Malgré tout j'adorais l'ambiance des pelotons. Au salon, mon esprit vagabondait, j'étais à Austerlitz avec Eddy Merckx… Absent, ce qui me valait les foudres de mon patron à l'époque. Il m'arrivait assez souvent de sécher les cours de la chambre des métiers pour rendre visite à un camarade de papa Monsieur Aimé Thouvenin au laboratoire de recherche archéologique qui se trouvait alors dans la cour du musée Lorrain (avant de rejoindre le musée de l'histoire du fer en 1966). Les merveilleux moments que j'ai passés avec ce monsieur à discuter archéologie et apprendre quelques secrets de son immense savoir. Dès que j'avais un peu de temps libre, je les passais à fabriquer déjà des modèles réduits de canons de campagne sur le vieil établi de mon grand-père à son grand désespoir vu le désordre que je laissais dans ses outils.
Pendant plusieurs années, j'ai fabriqué et peint des figurines historiques et participé à de nombreux concours. En 1978, j'ai obtenu un 1er prix au concours " Historex " à Paris. En 1979, j'ai eu le plaisir d'être retenu pour la finale des exploits manuels patronnés par les bourses " Lafont ".
2°) La peinture et le dessin
A l'école j'étais fier d'être le meilleur élève en dessin et travaux manuels (on ne peut pas être mauvais en tout). A la maison je n'arrêtais pas de feuilleter un vieux catalogue Manufrance, mon intérêt se portait sur les illustrations qui montraient les boîtes de peintures à l'huile ; modèles amateurs, modèles professionnels, ah tous ces tubes alignés, les posséder un jour peut-être… Les pincer, en faire sortir ces magnifiques couleurs, les mélanger et les disposer sur une toile. En 1974, je peignais enfin ma première toile, beaucoup de maladresses, mais la passion était présente et j'ai persisté, je me suis remis en cause, pris des conseils auprès de peintres confirmés. En 1980, avec l'aide de la municipalité de Neuves-Maisons, j'ai sorti du sommeil le club des arts et organisé une exposition qui est aujourd'hui toujours d'actualité en novembre à Neuves-Maisons. J'expose mes toiles dans diverses galeries, (Royan, Bourges, St Dizier…) remporte le premier prix du concours des chevalets à Vaudémont. En 1998 j'ai eu la grande joie d'être sociétaire des artistes lorrains.
Je reçois aussi le premier prix de l'open des arts à Villers les Nancy pour une façade lorraine que je réalise en relief en n'utilisant que des matériaux naturels (bois, pierre, terre cuite..). Pendant une dizaine d'années, je réalise tous les décors d'une école de danse de Neuves-Maisons pour son gala annuel. Et l'on m'a confié à l'occasion du 1er village de Noël sur la place Carrière de Nancy le décor d'entrée de cette manifestation.
3°) La construction de l'obusier
" Impossible ", je ne connais pas ce mot disait Napoléon !
Depuis quelques années, j'étais intéressé par la reconstitution historique. A la vue de ces nombreux groupes en costumes de grenadiers, chasseurs, l'idée m'est venue de fabriquer à l'identique une pièce d'artillerie. Les revues spécialisées considéraient que si l'on pouvait reconstituer un soldat d'infanterie, un cavalier, il était impossible de penser à l'artillerie.
Visite aux Invalides
Impossible ? Pourquoi … Je peux toujours essayer. Quel canon choisir ?
Le système mis au point par Gribeauval possède plusieurs modèles.
Le choix de la construction d'un obusier de 6 pouces est motivé par la réalisation d'une pièce de canon de dimension réduite pour une raison de poids et de mise en oeuvre. Elle doit être facile à manoeuvrer et à transporter dans les différentes manifestations auxquelles elle est appelée à être présentée. Ce choix correspondait à tous ces critères. De plus, c'est une pièce mal connue du grand public.
Tout commence par la recherche technique. C'est à la bibliothèque du musée de l'Armée à Paris que j'ai étudié de nombreux ouvrages spécialisés sur l'artillerie etc. J'ai réuni tous les éléments nécessaires à la mise en œuvre des plans.
La grande difficulté dans un premier temps était de trouver le bronze, matériau essentiel de la fabrication à l'identique du tube : 350 kg étaient nécessaires pour des raisons techniques de fonderie.
Je démarche chez un récupérateur de métaux, lui explique mon projet, mon rêve mais aussi mon manque de moyens financiers. Il faut, c'est la gageure, réaliser ce canon à un coût proche de zéro franc. Sans hésiter, il m'assure de son partenariat et donne son accord pour l'obtention du bronze. Dès lors, tout peut commencer.
Les plans de modèlerie seront exécutés par Eric, mon neveu, grâce à sa compétence et aux informations que je lui transmets, il réalise les plans à la perfection. Par l'intermédiaire du syndicat de la fonderie, lequel me dirige vers le lycée professionnel Blaise Pascal de Saint-Dizier. Rendez-vous pris, je rencontre les professeurs de fonderie et " modèlerie ", ils sont conquis par mon projet et le soumettent à l'académie de Reims qui donne son accord. Les élèves sont très motivés par ce travail. Informé par Monsieur Brossier, professeur de fonderie, G.H.M. Sommevoire accepte le challenge et me propose de couler le canon.
Elève du lycée Blaise Pascal préparant le maître modèle
Cinq mois ont passé. Convoqué à la fonderie de Sommevoire en Haute-Marne, j'explique ma passion, l'histoire, la vie des soldats et mon envie de présenter un matériel d'époque, témoin de tant de misères. Une poignée de mains franches scelle l'accord, je suis aux anges, le tube sera coulé gratuitement.
L'affût ! Je reprends mon bâton de pèlerin à la recherche du chêne avec lequel l'affût prendra forme. A leur tour, deux entreprises me donnent ce dont j'ai besoin.
De nouveau Eric à la baguette qui, à l'aide d'un puissant logiciel trace en trois dimensions les plans merveilleux des ensembles et sous-ensembles ainsi que tous ceux de la serrurerie.
Franck, un autre neveu, ébéniste, découpe et assemble toute la partie bois avec l'accord et le soutien de son patron. Je participe à la fête : la serrurerie et la forge ne sont pas mes points forts ! Mais dimanche après dimanche, c'est dans l'atelier avec François mon beau-frère, hé oui ! Formidable famille, que les différents accessoires s'alignent sur l'établi : crochets simples et doubles, vis de pointage etc. Quelques amis de grand talent m'apportent leurs concours.
Assemblage de la lunette de crosse
Fin mai 2002, j'assiste à la coulée, moment inoubliable du métal en fusion qui emplit le moule. Quelques jours plus tard, réception du tube encore couvert d'une partie de sa gangue de sable. Je m'attelle aux longues séances de polissage. Beau maintenant comme un sou neuf, je le graverai au monogramme de l'Empire copié sur un original du musée des Invalides. Je lui donnerai le nom de Drouot gravé lui aussi sur le fût. La chambre de tir est alésée et le grain de lumière mis en place.
Le travail s'achève ; quelques couches de peinture : jaune olive comme à l'époque (nous avons retrouvé la nuance exacte) à peine sèche, nous avons hâte d'y poser le tube. Quelques tours de palan, nous fixons les clavettes, qu'il est beau notre bébé ; nous sommes le 8 juin 2002.
L'obusier
Le lendemain, nous pourrons le présenter officiellement au public lors d'une fête du 1er Empire que nous avons organisée à Neuves-Maisons.
En effet, le 11 septembre 2001(de triste mémoire), je crée l'association " Le livre et l'histoire " ; je suis honoré de la présence de Monsieur Jean-Claude Bonnefont qui en sera le secrétaire. Celle-ci présentera tous les 2 ans une manifestation culturelle sur une période de l'histoire de France (exposition, vente de livres et objets ; conférences, spectacles et animations).
2002 sera donc une fête du 1er Empire dont le canon sera une des vedettes. En présence de la musique de la Garde Impériale de Dijon, du 1er grenadier à pied et du 1er régiment des chasseurs de la Garde, notre canon est baptisé dans la grande tradition des artilleurs : au vin rouge. Quelques minutes plus tard, dans un grand dégagement de fumée, il " toussait " pour la première fois comme disaient les artilleurs de Napoléon. (tir à blanc bien sur).
Défilé dans les rues de Neuves-Maisons 2002
Présence de son Altesse Impériale le Prince Murat
en avril 2004 lors de l’exposition sur le 1er Empire à Cora Houdemont
Réalisation de la maquette de la ville de Nancy en 1477 qui sera placé dans un diorama animé de la bataille de Nancy. Elle a été exposé au cours de la biennale 2004 sur le thème du Moyen-âge.
Le 4 avril 2003, grâce à Monsieur Georges Viel président du souvenir Napoléonien et Monsieur Jean-Luc Remy directeur du musée de l'Histoire du fer, j'ai l'honneur d'exposer mon canon au musée de Jarville. Quelle récompense pour tous mes amis sans lesquels rien n'aurait été possible. Le lendemain de l'inauguration, je donnai ma première conférence sur l'histoire de l'artillerie. Une des plus grandes angoisses de ma vie mais aussi une grande satisfaction de voir un public attentif à mes explications. Quelle belle occasion de pouvoir exprimer ma passion. Toute cette heure j'ai pensé très fort à mes parents. Ils auraient été fiers d'être là. Merci à eux pour ce qu'ils m'ont transmis.
Dans le parc du château de Brienne
Avec Laura et Erwan (mes petits enfants)
Depuis cette date, notre canon a beaucoup voyagé ; il fallait le faire vivre. Ajaccio, Golf Juan, Nemours. 17 sorties déjà et en uniforme d'artilleurs à pied de la Garde Impériale. A Charmes, les 10 et 11 septembre 2005, nous avons pu l'atteler à 2 chevaux grâce à l'avant train que nous avons construit avec le même soin et souci de la réalité. Une pièce unique.
Défilé dans Charmes avec la pièce attelée de ses deux chevaux
Merci encore à tous ceux qui ont collaboré à cette entreprise.
Passionné d'histoire, plus particulièrement du 1er Empire, la réalisation d'un canon ne pouvait se motiver que par l'intention de présenter au public un matériel témoin de l'épopée.
Comment se rendre compte dans notre monde mécanisé dans tous les domaines des difficultés que les hommes et les chevaux de cette époque ont éprouvées à servir ces pièces ?
Si l'occasion ne se présente pas d'en voir une reconstitution à l'identique, d'en soulever la crosse, de la manœuvrer on ne peut pas se faire à l'idée des vicissitudes rencontrées à l'époque.
Je précise que notre obusier de 6 pouces (650 kg) est la pièce la moins lourde de l'artillerie française de l'époque.
La reconstitution d'uniformes et du matériel est un moyen de voir l'histoire de l'autre bout de la lorgnette : une longue colonne de voitures, de caissons, de canons enterrés jusqu'aux moyeux dans les boues de Pologne ou de Russie, " pas d'autoroutes ", des chemins transformés en fondrières. La boue liquide qui aspire les jambes jusqu'aux genoux. Les mains collantes qui se crispent sur les bricoles et les cordes.Sous les jurons et les coups de fouet, on tire, on pousse, le corps meurtri par l'effort. Comme une mécanique la troupe avance mètre après mètre 30 Km par jour et parfois plus.
" Mon estomac sonne le creux comme mon bidon " répond l'ancien à l'Empereur qui l'interpelle.
Voilà l'épopée vraie de nos grands-pères, pauvres bougres que la grande histoire gomme et efface.
Il faut que la reconstitution soit le support de la connaissance de la souffrance des hommes qui ont fait, par leur courage obligé, la gloire éphémère des peuples.
Jean-Claude PERRIN
50 ans ont passé